EL WATAN / LE QUOTIDIEN INDÉPENDANT - Jeudi 22 septembre 2022,
p.12.

 
CHRONIQUE DE BENAOUDA LEBDAI

Doug Rawlings ou les répercussions de la guerre du Vietnam en 2022

 Les guerres sont sources de malheur, de tragédie, dont les répercussions sont difficiles à mesurer en termes de temps. Les traumatismes, comme analysés par la psychiatre Cathy Caruth, peuvent ne pas être perceptibles à court terme. Effectivement, les poèmes écrits en américain par Doug Rawlings et merveilleusement traduits en français par Daniel Gunn, professeur à l’université de Farmington, Etats-Unis, montrent combien la mémoire de la guerre du Vietnam reste présente malgré le temps qui passe. Le recueil de poésie La fille dans la photo et autres poèmes mérite le détour car il est une source d’inspiration pour dire qu’il ne faut pas balayer d’un revers de main ce que les soldats de la guerre du Vietnam ont souffert, une fois rentrés au pays. La guerre du Vietnam a été le sujet de textes forts, de romans, de pièces de théâtre. Les horreurs de cette guerre, les atrocités qui s’y sont déroulées furent dénoncées par des cinéastes comme Francis Ford Coppola dans Apocaplypse Now. Depuis d’autres guerres ont eu lieu, à l’instar de la guerre en Irak ou celle menée en Afghanistan avec d’autres écrits et d’autres témoignages. Donc, on aurait imaginé que l’on avait terminé avec les productions littéraires sur la guerre du Vietnam mais le recueil de poèmes de Doug Rawlings prouve précisément le contraire. Cet opus démontre qu’on n’en a pas fini avec les conséquences de la guerre du Vietnam telle qu’elle fut menée par les soldats américains et racontée par ceux qui ont eu la chance de revenir vivants mais Ô combien abîmés. Doug Rawlings publie à l’automne de sa vie des poèmes qu’il a rédigé au fil des années, des poèmes / réflexions, des poèmes / ressentiments, qui révèlent en fait le trauma subi dont les conséquences sont profondes. Les images sont toujours présentes, les visages sont obsessionnels comme ceux des enfants, les souvenirs tragiques qui ne s’effacent jamais. La réflexion ultime est que l’Amérique n’a rien appris de cette guerre et de ses conséquences sur le psychique des soldats. Le poète a mis du temps à publier ses écrits d’une profondeur particulière. Ecrire pour soulager sa conscience est une explication possible, mais il me semble que l’ex-soldat du Vietnam a ce fort désir de léguer un message en héritage à sa famille, à ses enfants et ses petits-enfants. Les motifs sont multiples comme laisser une trace dans le Maine que j’ai eu le plaisir de visiter, un lieu où la paix et la nature ont tous leurs droits. Le poète espère pour ses enfants et ses petits-enfants une vie sans guerre. Il sait que cet espoir ne semble pas être d’actualité tant les guerres se multiplient. Néanmoins, comment les sentiments et ressentiments de Doug Rawlings s’expriment-ils? D’abord, La culpabilité imprègne les vers libres :

«Descendant dans cette déclivité
Creusée dans la capitale de notre pays
Par le sabot fendu
D’encore une autre
De nos guerres tropicales

Glissant à côté des noms
De ceux dont les blessures
Refusent de se cicatrizer

Glissant a côté du panneau
Où mon nom aurait été
Aurait pu être
Aurait peut-être dû être»

 Par ailleurs, un sentiment fort de colère s’exprime, d’autant plus que le silence des soldats revenus vivants de la guerre du Vietnam est requis en haut lieu :

«Ne parlez jamais de la guerre
Au présent,
Encore moins à la voix active»

 Alors, la révolte est perceptible lorsqu’il est dit que les soldats se sont sacrifiés pour le «le pays», quand en fait Doug Rawlings dit que ces derniers savent qu’ils l’ont «dévasté». La conscience du soldat qu’il fut lui dicte la nécessité de dire sur ce qu’il a vécu :

«Écris quelque chose
N’importe quoi
Putain de merde

Ça ne te tuera point tu sais
Du moins, pas plus
Qu’il ne l’a déjà fait».

 Le style est la fois poétique et combatif pour évoquer la violence de la guerre :

 «Bombardement ! Toi attrapé en plein air
Dernier jour au Vietnam enterrant ton Visage
Dans la boue devenant la boue je te prie mon Dieu
Je t’implore fais-moi disparaître ne pas être moi
Et je ne voudrai jamais plus être rien de plus».

 Mais les soldats américains meurent et le silence doit être de mise :

«Novembre m’arrive comme un C-130
Qui se glisse dans Dover Air Force Base
Chargé des cercueils d’étain
Drapés en rouge, blanc et bleu

Je le sais, je le sais
Je dois me comporter comme si
De rien n’était»

 Dans ce recueil, Doug Rawlings dénonce ses ressentiments vis-à-vis de ce qu’il qualifie de «Guerre folle... pour raser, pour piller, pour violer». Il installe un parallèle entre ses petites filles et les petites vietnamiennes :

«Je regarde mes petites filles grandir ...
Pendant que je regarde une video
granuleuse de la guerre
D’un grand père vietnamien
L’avant-bras de chair tendineux».

Ce recueil de Doug Rawlings est illustré par Robert Shetterly dont les croquis illustrent beaucoup de poèmes. Ce recueil de poésie publié en 2022 confirme que les traumas de la guerre sont présents à cause de traces indélébiles dans la mémoire et cela malgré les années qui passent. Aucune guerre n’est anodine et le poète Doug Rawlings évoque encore la douleur de «sa guerre».

Benaouda LEBDAI

Doug Rawlings,
La fille dans la photo et autres poèmes, traduit de l’américain par Daniel Gunn, Skowhegan Maine, Kellscraft Studio, 2022

    
From El Watan (Algiers), Thursday, September 22, 2022,
p. 12

A COLUMN by BENAOUDA LEBDAI
Doug Rawlings, or Repercussions of the Vietnam War in 2022

Wars are sources of misfortune, of tragedy, whose repercussions are difficult to measure in terms of time.  Traumas, as analyzed by the psychiatrist Cathy Carruth, can sometime not be perceptible in the short term.  Indeed, the poems written in American English by Doug Rawlings and translated wonderfully into French by Daniel Gunn, a professor at the University of Farmington, show how much the memory of the Vietnam War remains present despite the passing of time.   The poetry collection The Girl in the Photograph and Other Poems is well worth a look, because it is a source of inspiration in saying that we cannot sweep aside what soldiers of the Vietnam War suffered, once they returned to their country.  The Vietnam War has been the subject of powerful texts, novels, plays.  The horrors of this war, the atrocities that took place in it, have been exposed by filmmakers like Francis Ford Coppola in Apocalypse Now.  And so one might think that we are now finished with literary works about the Vietnam War--but this collection by Doug Rawlings proves the opposite.  This work shows that we are not finished with the consequences of the Vietnam War, insofar as they are experienced by soldiers who returned living but damaged.  In the autumn of his life, Doug Rawlings has published poems that he has written over the course of years, poem/reflections, poem/resentments, which reveal hidden traumas with profound consequences.  The images are still present, the faces obsessively recalled, like those of children, tragic memories that will never be erased. The final reflection is that America has learned nothing about this war or its psychic consequences for soldiers.  The poet took a long time to publish these writings, which have a particular depth.  Writing to salve his conscience is one possible explanation, but it seems to me that the former Vietnam soldier wanted to leave a message as a legacy for his family, his children, his grandchildren. The motives are multiple—like leaving a trace in Maine, a place that I have had the pleasure of visiting, where peace and nature have a powerful impact.  The poet hopes for a life free from war for his children and grandchildren.  He knows that this hope doesn’t seem justified currently, as wars proliferate.  Still, how do the feelings and resentment of Doug Rawlings express themselves in these poems?  First, his free verse lines are permeated with guilt:

Descending into this declivity
dug into our nation’s capital
by the cloven hoof
of yet another one of our country’s
tropical wars
 
Slipping past the names of those
whose wounds
refuse to heal
 
Slipping past the panel where
my name would have been
could have been
perhaps should have been

Moreover, a strong feeling of anger comes out, especially since the silence of the soldiers who returned alive from the war is required by those in high places:

Never speak of war
in the present tense
let alone with active voice

Here the rebellion is perceptible, since the soldiers are said to have sacrificed themselves for “the country,” but they know that they have “wasted” it.  The conscience of the soldier that he was dictates the necessity to say something about what he has lived through:

Write something
anything
god damn you
 
It won't kill you, you know. 
At least not anymore than 
it already has.

The style is at once poetic and combative, in order to express the violence of the war:

Incoming! You caught out in the open
last day in country burying your face
in the mud becoming the mud please dear God
please make me disappear not be me and
I’ll never ever want to be anything more ever again

But American soldiers die and silence is called for:

November comes on to me like a C-130
slinking into Dover Air Force base
laden with tin caskets
draped in red, white, and blue
 
I know, I know 
I should just
let it be

In this collection Doug Rawlings expresses his resentment about what he calls “a crazy war . . .to rage, pillage, and rape.”  He creates a parallel between his granddaughters and Vietnamese children:

I watch my granddaughters grow up . . .
as I watch grainy footage from the war
of a Vietnamese grandfather, forearms of sinewy flesh . . .

This collection by Doug Rawlings is illustrated by Robert Shetterly, whose sketches exemplify many of the poems.  This poetry collection published in 2022 confirms that the traumas of war remain present because of the indelible traces it leaves in memory, despite the years that have passed.  No war is harmless, and the poet Doug Rawlings still remembers the pain of “his war.”

Doug Rawlings
The Girl in the Photograph and Other Poems
Translated from American English by Daniel Gunn
Skowhegan, ME:Kellscraft Studio, 2022